La crise économique qui sévit depuis ces dernières années en Tunisie ne manque pas d’exacerber les grandes inégalités sociales et de discréditer, par là même, toute volonté qui viserait à normaliser la politique budgétaire de l’État et à rationaliser la gestion de l’argent public. Dix ans durant, la crise économique approfondit la crise sociale et la précarité gagne de plus en plus de terrain et le pouvoir d’achat se trouve face à une inflation galopante.
La question du pouvoir d’achat des Tunisiens est parmi les principales revendications des multiples mouvements de protestation où les citoyens réclament une amélioration de leur niveau de vie. Le Tunisien aujourd’hui, et ce, pour plusieurs raisons, a des fins de mois difficiles. Face à la situation économique difficile que le pays connaît depuis plus d’une décennie, les gouvernements successifs ne font que prendre des mesures à l’emporte-pièce.
La dévaluation du dinar et la flambée des prix des produits de large consommation ont fini par avoir des incidences sur le pouvoir d’achat déjà fragile des ménages. Entre 2010 et 2018, la quantité des biens à la consommation et des services qu’un foyer peut acheter affiche un recul de 88 %. Cela est dû, entre autres, à l’inflation et le glissement important du dinar. Les statistiques ont montré que le pouvoir d’achat des Tunisiens a régressé de 4% environ entre 2011 à 2018 contre une hausse de 20% entre 2002 à 2011. De même, la classe moyenne s’est rétrécie et a perdu 40% de son pouvoir d’achat.
Maher Belhaj, expert en économie, a quant à lui indiqué que l’économie parallèle, le déséquilibre entre l’offre et la demande, la dépréciation du dinar, la contrebande, l’évasion de liquidités qui échappent aux banques, la corruption et le terrorisme sont à l’origine de cette baisse du pouvoir d’achat des Tunisiens.
Pour pouvoir lutter contre la dégradation du pouvoir d’achat et la hausse de l’inflation, «il faut mettre en place un système bancaire solide qui exerce un effet visible sur la réduction de l’inflation. D’autres facteurs comme la stabilité macro-économique, le développement des marchés financiers sont aussi à préconiser pour un régime de ciblage pour contrer cette hausse des prix des services et des produits sur le marché», précise l’expert.
D’après Ghazi Boulila, professeur en Sciences économiques à l’école supérieure des sciences économiques et commerciales de Tunis, «l’inflation a connu une hausse de 47,7% entre 2010 et 2018, soit un taux moyen annuel de 5,96%. Elle est passée de 5,3% en 2017 à 6,8% en 2018. En contrepartie, les salaires nominaux nets du personnel de l’Etat ont aussi augmenté de 65,1% entre la même période 2010-2018. L’évolution de ces deux composantes détermine la variation du pouvoir d’achat. Une bonne partie des ménages tunisiens ont le sentiment que le pouvoir d’achat diminue même s’il a augmenté statistiquement de 17,4%».
Indice des prix à la consommation
En décembre 2020, les prix à la consommation ont augmenté de 0,3% après une stagnation au mois d’octobre. Cette augmentation est principalement liée à la hausse des prix des articles d’habillement de 1,5%, des produits et services de santé de 1,2% et les prix des services des restaurants et hôtels de 0,4%. En revanche, les prix de l’alimentation et du transport restent quasiment stables et les prix de communication se replient légèrement.
Pour ce qui est des prix des produits d’habillement, des produits et services de santé, ils ont augmenté successivement de 1,5% et 1,2%. Par contre, les prix des produits alimentaires sont restés quasi-stables. Le taux d’inflation s’est stabilisé en décembre 2020 à 4,9%. Depuis le début de l’année, l’inflation a connu une tendance baissière allant de 5,9% en janvier 2020 à 5,8% au mois de février, suivie d’un rebond transitoire à 6,3% durant les mois du confinement sanitaire en raison de la pandémie du Covid-19, puis un reflux progressif pour marquer un premier palier à 5,4% d’août à octobre puis un second palier à 4,9% en novembre et décembre. En moyenne annuelle, l’inflation s’établit à 5,6% contre 6,7% en 2019 et 7,3% en 2018.
L’inflation : ennemi principal
de l’économie
Quoi qu’il en soit, il convient de noter que l’inflation est le principal de l’économie tunisienne. Pour l’année 2015, elle atteint 4,1% contre 7,5% pour l’année 2018. La hausse des prix concerne les viandes bovines, les viandes ovines, les œufs, les laits et fromages, les légumes secs, le transport, les prix de voitures, les articles d’habillement, les boissons, le prix du logement, les restaurants et les hôtels… Bref, la plupart des produits et services affichent une hausse de prix. Toutefois, on anticipe une baisse de l’inflation à 6,7% en 2019 et 6% en 2020.
Les principaux facteurs de cette hausse de l’inflation sont la forte dépréciation de la monnaie nationale qui entraîne à son tour une augmentation de prix des matières premières. La hausse des charges financières se répercute également sur les prix affichés par les entreprises. «Les spéculateurs ont également impacté les circuits de distribution des produits, outre la hausse des salaires et la création monétaire contre garantie de BTA».
Les effets de cette inflation sont visibles sur la baisse du pouvoir d’achat des foyers. «Dès lors qu’il y a un déséquilibre entre la hausse du prix sur le marché et l’augmentation des salaires des employés, les ménages n’arrivent plus aussi à épargner, affectant toutefois le taux de rendement».
Pour remédier contre cette hausse de l’inflation, les pouvoirs publics ont choisi d’agir sur le taux d’intérêt. «S’ils les augmentent, les gens choisissent l’épargne au lieu de l’investissement. Ce qui permet de réduire la masse de liquidité en circulation». Ainsi, la Banque centrale a augmenté son taux directeur de 5,75 % en mars 2018 contre 7,75 % en février 2019. Or, «cette mesure n’a pas produit l’effet escompté sur la réduction de l’inflation. La Banque centrale de Tunisie doit adopter les mesures adoptées par des pays membres de l’Ocde, comme l’amélioration de la productivité et l’encouragement de la production dans les secteurs où il y a une augmentation de prix, la mise à niveau des circuits de distribution, la révision des salaires, la mise en place des stocks de régulation». L’Etat devrait aussi imposer un plafond pour certains produits, augmenter les aides pour les produits de base des ménages à revenus modestes et chercher des moyens permettant de lutter contre les importations «sauvages».
Glissement annuel élevé
D’après la note conjoncturelle du Forum Ibn Khaldoun pour le développement publiée récemment, et contrairement à la tendance fortement baissière dans le monde, sous l’effet de l’important repli des prix sur le marché international des matières premières (-15%) et des hydrocarbures (-43%), le glissement annuel, quoique en repli, se stabilise à un niveau relativement élevé, à hauteur de 5.4% pour l’ensemble des produits, laissant entrevoir un glissement annuel à fin décembre proche de 5%.
Comparativement à l’indice des prix à la consommation durant les deux années précédentes, il y a certes un net mieux avec un glissement annuel se ramenant de 7.4% en septembre 2018 à 6.7% en septembre 2019 et à 5.4% en septembre 2020 justifiant la baisse à deux reprises du taux directeur de la BCT pour le ramener de 7.75% en septembre 2019 à 6.25% au début d’octobre.
De nombreux facteurs ont contribué à cette relative détente parmi lesquels : le redressement relatif du dinar tunisien sur le marché de change entre la fin de septembre 2019 et la fin septembre 2020 avec une appréciation du dinar par rapport à l’euro de 3.7% et une dépréciation limitée du dinar par rapport au dollar américain (3.2%), la poursuite du gel des prix des produits socialement sensibles suite à une importante intervention de la Caisse générale de compensation.